Encule-moi encore!
La vie m’encule tellement souvent que j’ai fini par me faire une routine.
Un petit rituel matinal.
Un lavement d’âme quotidien, juste pour éviter de déborder sur tout le monde pis laisser des traces de break partout sauf dans mes sous-vêtements.
Parce qu’honnêtement, si je fais pas mon entretien préventif, j’serais en train de marcher au bureau comme une imprimante mal alignée qui fait KLANG KLANG KLANG en laissant un sillon de misère derrière elle.
Et juste quand je pense avoir fini…
BAM.
On me demande une autre affaire pas d’allure.
Une demande qui a autant de sens qu’un chat qui gère un budget.
Alors me v’là, encore penchée en deux, café à la main, essayant de garder mon sourire pendant que mon liquide chaud déborde plus vite qu’un volcan frustré. Le café coule sur mes doigts comme si la vie essayait littéralement de me baptiser dans la souffrance. Je suis rendue aussi flexible qu’une paille twistable sur le bord de casser. Tu me donnes une mauvaise nouvelle de plus, pis je me plie tellement fort que je vais finir par me retrouver la tête dans mes propres poches arrières.
À ce point-ci, j’suis plus une personne.
Je suis une charnière.
Une charnière fatiguée, mal huilée, qui couine chaque fois qu’on lui demande quelque chose.
Le genre de charnière qui fait KIIIIIIIK juste pour prévenir le monde :
“Attention, c’t’ai pas d’accord, mais j’vais le faire pareil.” Et je garde le sourire.
Toujours.
Ce petit sourire crispé qui dit :
“Oui oui, pas de problème, je suis correct…”
pendant que mon âme essaie de sortir de mon corps par la porte de service.
Mais un jour, j’te le dis…
Un jour je me pencherai PAS.
Pas pantoute.
Je vais rester droite comme une barre de métal tordue par la fierté,
et tout le monde va figer en se demandant pourquoi la contorsionniste de service a soudainement décidé de garder ses vertèbres alignées.
Ce jour-là, ça va être beau.
Dérangeant un peu, mais beau.
Pis entre toi pis moi… y’a pas juste la job qui me force à me plier en deux.
À mon âge, juste ramasser quelque chose à terre, c’est rendu un acte de bravoure.
J’aurais dû prendre des cours de gymnastique quand j’étais jeune, parce qu’aujourd’hui, chaque fois que je me penche, y’a un de mes os qui fait un bruit de crissement comme si quelqu’un essayait d’ouvrir un pot de cornichons trop serré.
Ça part du bas du dos, ça remonte dans mes épaules, pis ça sonne assez fort pour que mon chien me regarde comme si je venais d’émettre un signal de détresse.
Pis ça, c’est sans parler de ma patience…
Elle s’évapore plus vite que l’eau dans le chaudron que j’ai oublié sur le rond y’a une heure.
Tu sais, celui qui fume juste assez pour que je me demande si c’est le chaudron qui est fini… ou si c’est moi.
Mais comme j’essaie encore de jouer à la bonne personne, ben je me plie en deux de plus en plus souvent — comme si chaque petit acte de patience me demandait un sacrifice lombaire.
Je vais faire une petite épicerie, hein? Un sac de pommes, deux carottes, une pinte de lait pis un pain. 35$.
TRENTE-CINQ DOLLARS.
À ce prix-là, j’prends pu de chance : je me présente cul first à la caisse, question d’être déjà en position quand la vie décide de me repasser une facture qui fait saigner les yeux.
La caissière me regarde bizarre, mais honnêtement… à ce point-ci, c’est juste de la prévention.
L’ostie de monde qui font du budget-réalité savent de quoi je parle : quand t’achètes quatre affaires pis que ta carte commence déjà à suer, t’as plus le luxe d’arriver de face.
Je suis due pour mon renouvellement hypothécaire.
Juste prendre le rendez-vous avec mon courtier, ça m’a donné des sueurs froides.
Je l’ai même accueilli en lui demandant sa marque de lubrifiant préférée — question de savoir si je dois me préparer mentalement au silicone ou à la vieille vaseline de pharmacie.
Je le sais que ça va faire mal, cette visite-là.
J’ai même prévu porter une jupe.
Easy access, tsé.
On va pas faire semblant : quand les taux montent plus vite que ta pression artérielle, l’important, c’est la logistique.
Quand je vais mettre de l’essence, j’amène des condoms à la banane — mes préférés.
Pas pour quelqu’un d’autre, non non… pour MOI.
Parce qu’à ce point-ci, je prends plus de chance.
Je prends le pistolet de la pompe, je regarde le prix du litre, pis je fais ce que la vie attend de moi : je m’encule moi-même avant de mettre de l’essence.
C’est de la prévention.
De la gestion de risque.
Une façon mature d’aborder une réalité où ton char te coûte plus cher que te nourrir.
Au moins, avec mes condoms banane, j’ai un petit feeling fruité dans toute cette douleur financière.
Quand je vais chez le docteur pour expliquer mon mal de vivre, ma fatigue, mon dos scrapé pis mon anus sensible — tsé, la totale — je prends pas de chance.
Je me colle un sticker avec un gros X rouge directement sur le cul, pis un autre dans le front avec marqué :
“REGARDE-MOI DANS LES YEUX.”
C’est de la prévention.
Une démarche proactive.
De l’hygiène émotionnelle et rectale.
Tout ce qu’il faut pour éviter de me faire enculer là aussi.
Mais évidemment… j’ai pas de chance.
Je finis encore pliée en deux, secouée rythmiquement, pendant que le docteur me lance des petites phrases préfabriquées qui résonnent dans la salle comme des avertissements de micro-ondes.
“C’est normal, Flamme, des petits coups de mou…”
Bon. Tiens.
Un coup de mou.
Ça s’ajoute au reste.
On est rendu à la collection automne-hiver des malaises existentiels.
“Augmenter la médication.”
Oui, oui, mets-moi ça sur ma tabarnak de carte de bingo.
J’ai presque une ligne.
“Arrêt de travail.”
Ben oui.
Comme si mon compte bancaire allait se guérir tout seul pendant que je respire par le nez en méditant sur le divan.
“Repos.”
HAHAHAHA.
Repos.
Encore un qui croit que j’ai le temps de me mettre en mode avion quand la vie me bourre par toutes les directions sauf la bonne.
Pis moi je suis là, pliée en deux sur la table d’examen, avec mon sticker X sur les fesses pis mon autre dans le front, en train de me dire :
“Ouin… malgré toute ma préparation, je suis encore celle qui se fait prendre au figuré.”
Je donne mon billet à ma boss.
Elle me regarde, je la regarde…
pis j’te jure qu’on a le même regard d’otages de la vie moderne.
Elle aussi, elle est à boutte j’pense.
Elle aussi, elle se fait rentrer dedans par la job aussi souvent que moi.
C’est rendu qu’on est comme deux victimes de la même tornade administrative : épuisées, décoiffées, pis vaguement conscientes qu’on est plus des employées… mais des zones de transit pour décisions douteuses.
C’est pour ça que je dis qu’on est dos à dos.
Pas en chicane.
En solidarité traumatique.
Deux personnes qui savent très bien que l’impact s’en vient, mais qui espèrent que, pour une fois, ça va frapper juste un peu moins fort.
Pis sans joke… se faire brasser symboliquement quand t’es deux à encaisser en même temps, ben ça adoucit le choc.
Ça donne un mini break.
Un moment où tu te dis :
“Bon… au moins j’suis pas seule dans c’t’univers qui porte des bottes de travail en acier.”
Présentement, je suis rendue à m’imprimer un kit de survie 3D contre la vie moderne : un bouchon anti-mauvaises-nouvelles pis une brace anti-pli, style équipement de super-héros fatigué.
Le premier, c’est juste pour empêcher les mauvaises surprises de rentrer par où elles ont l’habitude de passer… et la brace, ben c’est pour me protéger la colonne quand la vie décide de me plier comme un maudit carton de livraison.
Je te jure, si quelqu’un me voit avec ça, ils vont penser que je suis en test pour un nouveau poste chez Marvel :
Capitaine Prévention,
protectrice des tired adults, défenseure des colonnes scrapées, gardienne de l’orifice sacré de la paix intérieure.


Toujours aussi agréable de vous lire. De l'énergie, de l'humour cinglant et du réalisme : de quoi sauver le Monde !!! Merci
Un florilège de lexique sonore d'une charnière qui grince trop. Bravo pour l'ironie, l'énergie de ce ras le bol face aux faceties de la vie. Étonnant cette synchronicite avec mon article d'hier https://kilometresinterieurs.substack.com/p/a-quel-point-largent-peut-te-briser
où je raconte comment les mauvaises nouvelles peuvent nous plier jusqu'à nous mettre par terre à huilerie. Le déclencheur c'est parfois 35€ au supermarché oui.
Mais je t'invite à huilerie.
Hurlons tous ensemble !!!
Bravo pour ton texte (même si pour le titre, j'imagine que certain.e.s apprécient la Sidonie, consentie of course)